6.11.10

Requiem pour un chat

Pierre Foglia est un grand écrivain québécois. Dans sa chronique d'aujourd'hui, intitulée Novembre, il nous parle d'un de ses animaux de compagnie en fin de vie. L'extrait qui suit est remarquable :
Je suis arrivé chez la vétérinaire bien avant l'heure de mon rendez-vous. Je le tenais dans mes bras, enveloppé dans un jeté de laine. Je le berçais en arpentant la salle d'attente, où j'étais seul avec la réceptionniste. Je vous énerve, à marcher comme ça?

Un monsieur assez corpulent est arrivé avec une grande, grande croix sur la poitrine. Il venait acheter de la bouffe pour chien. Je lui ai demandé s'il était curé.

Non, j'ai la foi.

Alors c'est une grande grande foi comme votre grande, grande croix?

Si vous voulez. Votre chat a été frappé?

Non. Il est malade. Il va mourir.

Vous êtes triste?

Pas triste. Abattu, comme chaque fois que je m'approche de la mort, qu'elle est là, pas loin, que je sens sa fade présence. Abattu de vivre si peu et si mal. Je ne sais pas si vous me comprenez.

Très bien, m'a dit le gros monsieur en me souriant aimablement.

J'arpentais toujours la salle d'attente en berçant Bardeau, je sentais sous ma main son coeur qui sautait comme un dauphin. Je suis allé lui montrer la cage des perruches: T'en veux une?

La vet est arrivée. C'est allé très vite.

Il pleuvait quand je suis sorti. Le temps de traverser le stationnement, le jeté était tout mouillé. Entre Farnham et Bedford, je n'arrêtais pas de penser à ce que j'avais dit au gros monsieur avec une grande, grande croix sur la poitrine : si peu et si mal. S'il y avait eu une librairie en chemin, je m'y serais arrêté. Un chocolat chaud à l'OEuf? L'OEuf est fermé pour les vacances annuelles. Je ne voulais pas rentrer tout de suite, enterrer Bardeau sous la pluie, et puis la journée s'effilocherait, et puis... comment j'avais dit ça, déjà? C'est ça : si peu, si mal.