12.12.11

Le chemin de fer

Ô, les sages paroles… les belles pensées…
Méditons cette fable à la morale tirée.
On s’extasie bien fort sur les nobles desseins,
De remettre à sa place cet encombrant destin,
Qui lie chacun de nous bon gré, mal gré,
Depuis que le hasard voulût que l’on soit né.

Mon wagon apparaît au sommet du terre-plein.
Les pièces sont assemblées, on peut lâcher le frein.
C’est le seul moment qu’on ne maîtrise pas,
Alors que toute une vie, il influencera.
Devant moi tant de voies, de brouillards,
De chemins lumineux qui ne mènent nulle part.

Me voilà lancé dans cette gare de triage,
Et je roule, inconscient des premiers aiguillages.
Des volontés aimantes les actionnent pour moi.
On trace le chemin que l’on croit bien pour moi.
Des convois s’assemblent, une vie se prépare.
On me dit que mon train n’admet pas le retard.

Quand semble suffisant le nombre de mes bagages,
Je manipule enfin mes propres aiguillages.
Choisir le bon convoi n’est pas une science exacte,
Car une fois accroché, il dirige nos actes
Et nous mène, impuissant, vers la prochaine gare
Où l’on pourra peut-être prendre un autre départ.

Tandis que l’on avance, les voies se multiplient,
Se dédoublent, s’entrecroisent, à ce destin nous lient,
Persuadés que nous sommes de notre bon choix,
Nous voilà emmenés. C’est la bonne, cette fois.
On y croit. On espère, grisé par la vitesse,
Les expériences nouvelles et notre cœur en liesse.

Pourtant, la destination s’éloigne encore.
Emprunter ce chemin est à nouveau un tort.
On change les plans, les envies, le trajet,
On laisse derrière soi remords et regrets,
Et on tente une fois de plus la chance,
Sur une voie de traverse, vers une autre espérance.

Car le temps est compté quand on avance toujours,
Et les choix limités le long de notre parcours.
Malgré le bon vouloir et toute notre énergie,
Force est de reconnaître que le destin nous lie,
Par la façon même dont notre wagon est fait,
Et qu’il serait stupide de toujours le nier.

Mes illusions s’étiolent. C’est un simple constat.
J’attends la prochaine gare et le prochain départ.
Je remise des rêves, j’en dépoussière certains,
Et me dis, j’en suis sûr, qu’il y a encore des trains
Qui peuvent m’emmener vers des joies, des amis,
Un travail gratifiant, une vie épanouie.

L’amour du prochain adoucit notre peine,
Quand on réalise alors que toute lutte est vaine
Contre un destin tracé et longtemps renié.
On puise ainsi la force de taire cette vanité,
Qui nous empêche toujours d’aller à l’essentiel,
De changer de regard, d’apprécier le soleil.

Les chemins sont nombreux, les paysages variés.
Le trafic encombré ou la voie dégagée.
On passe dans des tunnels, sur des ponts élevés,
Mais très peu ont accès aux riantes vallées.
Ne pas trop rechercher à regarder au loin,
Nous permet un peu mieux d’accepter ce destin.


Poème de Laurent G. alias ellge, publié sur le blogue de Patrick Lagacé le 10 décembre dernier.