5.2.11

L'homme de paille des intellectuels

Joseph Schumpeter est un des rares auteurs découverts durant mes études universitaires que j'ai plaisir à relire. Pas pour ses talents littéraires, oh non! Sa démarche à la fois économique, historique et sociologique avait le mérite de la rigueur, pas de l'élégance. Comme Mises ou Hayek, il écrivait mal, mais comme eux Schumpeter était solide dans les trois disciplines.

Reconnu pour sa théorie de l'innovation comme moteur premier de toute économie, un récent texte d'opinion, publié dans La Presse du 3 février dernier, confirme une autre de ses théories : le rôle prépondérant des intellectuels dans la dégradation du capitalisme.

Selon Schumpeter, une conséquence importante du capitalisme est l'essor du système éducatif. Essor bénéfique, il va sans dire. Mais qui entraîne une surproduction d'intellectuels par rapport aux besoins réels de la société. La loi de l'offre et de la demande étant ce qu'elle est, plusieurs de ces intellectuels se voient relégués aux lignes de côté du jeu capitaliste. Leur intérêt consiste alors à remettre en question ce modèle, en nourrissant l'opinion publique de discours contre l'argent et l'esprit d'entreprise. Dès lors, on les voit monter aux barricades de toutes ces idéologies qui, directement ou non, constituent un frein au capitalisme.

Outre ces attaques hostiles répétées, qui finissent par galvaniser l'opinion publique, le système capitaliste se sclérose de l'intérieur, pour des raisons sociales et politiques. Peu à peu, les intellectuels investissent l'État, gonflant les rangs de sa bureaucratie. Dès lors, les gouvernements démocratiquement élus privilégient l'économie planifiée; l'État-providence devient la loi. Ces gouvernements développent un régime fiscal de plus en plus envahissant. L'accroissement des transferts de revenu des producteurs vers les non-producteurs décourage l'épargne et l'investissement au profit de la consommation.

La conséquence à long terme de cet interventionnisme est une baisse de croissance et l'inflation. On parlerait aujourd'hui de stagflation, terme que Schumpeter ignorait mais qu'il aurait sans doute approuvé. Comme remède à ce phénomène funeste, ces mêmes gouvernements ont tendance, pour garantir leur réélection, à privilégier des politiques à court terme plutôt qu'à long terme, des politiques du genre après nous le déluge. Un politicien oserait-il aller à contre-courant? Faute d'en faire un criminel, nos intellectuels s'escrimeront à le dépeindre dans l'opinion publique en imbécile (Ronald Reagan) ou mieux en inculte (Stephen Harper). Vous voyez le topo?

Aussi, comment être surpris quand un groupe d'intellectuels nie que la réduction des impôts favorise la croissance économique? D'autant plus que c'est du fardeau fiscal des entrepreneurs dont il est question? Ce maudit entrepreneur! Non cet individu ayant le goût du risque et l'esprit d'initiative, ce fondateur de petites et moyennes entreprises, ce moteur d'innovation à l'origine de toute économie saine! Pas lui! Plutôt ce maudit entrepreneur, celui qui vampirise le bon peuple!

Ces intellectuels, ces dénonciateurs de la rhétorique mensongère, ces travailleurs qui savent ce qu'est la vraie richesse, faut-il les croire sur parole? Oh non!